De nombreux parlementaires américains reprochent au géant des réseaux sociaux d’avoir adopté les mêmes techniques que l’industrie du tabac dans les années 1970 pour populariser ses plateformes auprès des jeunes tout en dissimulant leurs effets nocifs au grand public.
Facebook rend-il aussi « accro » que la cigarette ? Et doit-il de ce fait être régulé, comme l’industrie du tabac l’a été à partir des années 1970 ? La comparaison, mise en avant par des parlementaires américains, commence à s’installer dans le débat – malgré les tentatives de Facebook pour éviter à tout prix ce rapprochement dévastateur.
Mardi, la lanceuse d’alerte Frances Haugen,une ex-employée de Facebook à l’origine des « Facebook Files », la série de révélations fracassantes du « Wall Street Journal », a même poussé la logique plus loin. L’ingénieure désormais parmi les plus célèbres de la tech plaide pour qu’Instagram ne soit accessible qu’à partir de 16 ou 18 ans, contre 13 ans aujourd’hui. « Les adolescents ne peuvent pas s’autoréguler. Comme la cigarette, l’usage des réseaux sociaux atteint un pic vers 13-14 ans. Ils disent qu’ils se sentent mal quand ils vont sur Instagram, mais que c’est plus fort qu’eux », explique-t-elle.
Instagram, une « première cigarette »
Fin septembre, plusieurs sénateurs avaient eux aussi attaqué Facebook sur ce front. « Instagram, c’est comme cette première cigarette censée rendre les adolescents accros le plus tôt possible, avait lancé le sénateur démocrate Ed Markey. Facebook a fait comme l’industrie du tabac : ils ont mis en avant un produit, tout en étant au courant de ses conséquences néfastes pour la santé des jeunes gens, simplement dans le but de faire plus d’argent. »
Dans les années 1970, l’Europe et les Etats-Unis avaient tous les deux cherché à réguler l’industrie du tabac incarnée à l’époque par le géant Philip Morris et son emblématique marque Marlboro. Les fabricants étaient accusés d’avoir poussé la consommation en plaçant la cigarette au coeur de l’« American way of life », notamment par les célèbres films western… tout en étant parfaitement conscients des risques sur la santé.
Mais en public, les industriels du tabac s’évertuaient à semer le doute, une stratégie de défense devenue un cas d’école dans le monde du lobbying. Le « Big Tobacco » perdra cependant progressivement la bataille. En 1971, les Etats-Unis interdisent la publicité pour le tabac à la télévision et à la radio, puis le bannissent des avions en 1988. En France, la régulation du tabac vient surtout avec la loi Veil de 1976 puis la loi Evin de 1991.
Addiction et santé mentale
Certes, Instagram ou WhatsApp ne provoquent pas de cancer du poumon. En revanche, leur côté addictif et leur impact sur la santé mentale, notamment des jeunes, sont bien connus et documentés – y compris chez Facebook. Ce point, au coeur des « Facebook Files », est ce qui sous-tend la comparaison de certains parlementaires américains avec l’industrie du « Big Tobacco ».
Selon le « Wall Street Journal », Facebook a par exemple continué de travailler sur une version d’Instagram pour les moins de 13 ans alors que ses propres recherches internes avaient souligné les conséquences néfastes de la plateforme, notamment sur les jeunes filles mal à l’aise avec leur corps. Les « Facebook Files » montrent que le groupe craint une très forte chute de sa fréquentation aux Etats-Unis (potentiellement -45 % d’ici à 2023) si les jeunes délaissent ses plateformes.
« Rien à voir », dit Nick Clegg
Depuis quelques jours, Facebook est monté au créneau pour balayer cette comparaison. Mardi, même Mark Zuckerberg est intervenu en publiant un long post sur sa propre page Facebook. « C’est décourageant de voir notre travail sorti de son contexte et utilisé pour construire un discours faux affirmant que tout ça nous est égal. […] Nous allons continuer nos efforts de recherche car c’est la meilleure chose à faire. »
« Cela n’a absolument rien à voir avec le tabac », avait rétorqué Nick Clegg, le lobbyiste en chef de Facebook, dimanche sur CNN. « On parle d’applications sociales. […] Si un tiers de la population mondiale [les quelque 3 milliards d’utilisateurs de Facebook, NDLR] utilise ces applications, c’est qu’il y a bien une raison. »
Pour certains, la comparaison avec la « Big Oil » (Exxon, Shell…) serait de fait plus pertinente. Se passer de cigarettes sans utilité est difficile, mais pas impossible… En revanche, communiquer sans passer par Messenger ou WhatsApp est une gageure, comme l’a encore montré la panne de lundi. De la même façon que les économies ne peuvent pas complètement faire l’impasse sur le pétrole…
Source : Les Echos